«Allo Christian?»
«Allo Robert, comment vas-tu?»
«Écoute, j’ai ABSOLUMENT besoin de ton aide. Je capote! L’imprimeur m’a encore appelé. L’auteur aussi. Ils veulent retoucher la couverture du livre. J’ai un lancement dans deux semaines et si l’imprimeur n’a pas de fichier électronique ce matin avant 11 heures, il ne pourra pas livrer les exemplaires à temps. Mes documents de presse sont prêts, la salle pour le lancement est réservée…»
«Viens-t’en Robert, je t’attends, on va arranger ça.»
«OK j’arrive, je t’en dois une mon cher.»
C’était souvent comme ça lorsque nous étions en production des livres du Nordir il y a quelques années. Bon, comme tout le monde le sait, Robert a freiné la production des Éditions Le Nordir bien qu’il ait sorti quelques titres, exceptionnels, au compte-goutte. L’un de ces titres, le Dictionnaire-album du Mécénat d’État, a été notre dernière collaboration étroite. Il est venu chez moi à Saint-André-Avellin pendant une semaine où nous avons eu beaucoup de plaisir, entre les rires, mon iMac et les confidences…
Mercredi dernier, Robert Yergeau est mort prématurément. Il était éditeur, poète, professeur universitaire et surtout ami. La nouvelle est venue d’un ami commun, Stefan Psenak, qui bouclait ainsi la boucle puisque c’était lui qui m’avait présenté Robert il y a des années. Je suis demeuré assommé pendant quelques jours et j’avoue que Robert occupe largement mes pensées depuis ce fatidique jeudi. Je vais peut-être étonner mais je souris lorsque je pense à lui. Il avait un sens de l’humour peu commun que j’appréciais grandement.
Depuis un an, je n’ai vu Robert qu’à une seule reprise et il me manquait. D’ailleurs, voici son dernier message reçu le printemps dernier :
J'ai eu tes deux messages. Je suis complètement dans le jus avec la fin de la session (c'est la dernière semaine). Je vais te téléphoner la semaine prochaine.
J'ai vu que tu avais été très actif ces derniers temps: livre, expo, Salon du livre de l'Outaouais, Hearst.
Robert
Le coup de téléphone n’est jamais venu. Robert était toujours étonné du fait que je conservais mes courriels pendant très longtemps ce qui lui a sauvé la mise quelques fois car il a ainsi pu récupérer des documents du Nordir par mon entremise. Il rirait de constater que j’ai toujours son dernier courriel dans ma boîte de réception.
Vendredi prochain, je quitterai l’Outaouais pour l’Estrie en compagnie de Stefan mais aussi de Jacques Poirier, de Hearst, pour lui rendre hommage. Je sais que ça ne sera pas la dernière fois car il y en aura d’autres. C’est un gros morceau que l’Ontario français vient de perdre. C’est aussi un gros morceau que je viens de perdre sur le plan personnel. Il n’a pas été mon professeur mais un ami, un copain qui partageait avec moi au fil des conversations ces connaisances, très vastes, en littérature. Il citait des poèmes entiers par cœur et connaissait d’innombrables anecdotes littéraires tout aussi dramatiques les unes que les autres.
L’avoir côtoyé a été pour moi un immense privilège car il a contribué à faire de moi une meilleure personne en m’enrichissant de sa présence tant intellectuelle qu’émotive. Il va me manquer.
Yergeau le forçat des chimères
qu’il entretient dans sa poésie.
Il y a tant de livres
et de lèvres à lire.
Viens que je te saigne mon poème
ma petite prise sur le réel
mon bloc d’errance.
Viens t’étendre sur le suaire
de ce papier froid.
Viens que je puisse
fondant tout l’être réel et l’être rêvé
discréditer la mort.
Robert Yergeau
Merci Robert! C’est moi qui t’en dois une mon cher!
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